Quand le Danemark stérilisait de force les Inuites
Cet article, dans lequel Tanguy Sandré a été interviewé, est publié le 9 février 2023 dans l'hebdomadaire La Vie N°4042 (payant).
Depuis le printemps 2022, le Groenland découvre l’ampleur de la politique de stérilisation forcée menée par le Danemark sur son territoire de 1966 au milieu des années 1970. Plus de 4 000 femmes et adolescentes en ont été victimes, avec pour certaines une infertilité définitive.
Pendant 26 ans, Holga Platuu et son ex-mari ont espéré un enfant qui n’est jamais venu. « Lui en a eu deux, plus tard », glisse-t-elle, sobrement. Il est 16 h, cet après-midi de novembre. La nuit enveloppe Nuuk et ses 19 000 habitants. La capitale du Groenland est posée au bord d’un fjord, à 240 km sous le cercle polaire arctique.
Holga Platuu, 62 ans, se tient à son bureau, dans l’école où elle travaille comme secrétaire, le visage empreint de gravité. Des infections gynécologiques à répétition l’ont contrainte à subir une ablation de l’utérus, en 2018, mais les médecins n’ont jamais trouvé la cause de son infertilité. Holga, elle, a fini par comprendre.
L’époque du Lippes Loop
En 1973, l’adolescente inuite fréquentait le collège de Maniitsoq, une commune au nord de Nuuk. Fille d’une institutrice et d’un père chasseur-pêcheur, elle est l’avant-dernière d’une fratrie de 10 enfants. Sur une photo d’époque, Holga et ses copines de classe ont entre 13 et 14 ans, des visages poupins et d’épaisses franges brunes. « Nous étions à l’école quand nous avons été emmenées à l’hôpital pour y recevoir une spirale », retrace-t-elle. Une spirale, c’est un contraceptif implanté dans la cavité de l’utérus. Un objet imposant vendu sous le nom de Lippes Loop, aussi large que haut, quand les stérilets actuels, d’environ 3 cm, s’adaptent à la morphologie des femmes. Le terme vient de sa forme en serpentin.
Holga se souvient de l’attente dans le couloir, puis de la douleur, du choc. « Je n’en ai jamais parlé jusqu’en 2020, assure-t-elle. C’était un tel traumatisme que je ne voulais plus y penser, j’ai fini par oublier. Vers 22 ans, on m’a retiré le stérilet. Mais je pense que ma stérilité vient de là, même si je n’en serai jamais sûre. »
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