Un parlement plus vert au Groenland

Extrait de l'article «Un parlement plus vert au Groenland», publié sur le site La Croix le 08/04/2021

 

Ce n’est pas neutre, dans un territoire qui compte des ressources minières parmi les plus importantes du monde : le Groenland s’impose une cure de vert. Le parti de gauche et indépendantiste, Inuit Ataqatigiit (IA), jusqu’ici dans l’opposition, a remporté le scrutin avec 36,6 % des suffrages, soit plus de 2 000 voix face au Siumut, formation sociale-démocrate qui domine la vie politique groenlandaise depuis l’autonomie de 1979. IA obtient 12 des 31 sièges de l’Inatsisartut, le Parlement local, contre 8 jusqu’à présent.

« Les Inuits sont pragmatiques »

Un résultat qui ne surprend pas Mikaa Mered, universitaire spécialiste des pôles à Sciences-Po Paris : « La campagne a été bien menée de façon à créer un référendum pour ou contre un projet minier à laquelle d’autres partis se sont joints ». Ce projet pour l’exploitation du gisement d’uranium et de terres rares de Kuannarsuit, à la pointe sud du territoire, était soutenu par le Siumut. Favorable à la mine, cette dernière dirigeait le gouvernement local sortant.

Pour Jean-Michel Huctin, anthropologue à l’université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines il faut se garder de conclure que parce que ce parti est arrivé en tête des élections, les Groenlandais seraient contre l’exploitation des mines. « Les Inuits sont pragmatiques, ils ont à la fois une relation très profonde avec leur environnement. Ils ont conscience que l’exploitation des ressources minières pourrait leur permettre d’acheter leur indépendance par rapport au Danemark. Mais avec ces élections, ils ont clairement dit qu’ils plaçaient l’environnement avant l’économie ». Le Groenland est riche de ses ressources minières. Avec le projet minier au sud de l’île, il possède la 2e réserve de terres rares au monde et le 6e gisement d’uranium au monde. Et des gisements miniers, il en existe ailleurs…

Aujourd’hui, l’économie groenlandaise repose sur la pêche (90 % des exportations du pays) et sur les subventions du gouvernement danois (plus de 520 millions d’euros par an), soit un tiers de son budget total. Depuis 2009, et l’accord d’autonomie signé avec le Danemark, la gigantesque île recouverte de glaces gère elle-même ses ressources naturelles. Du fait du réchauffement climatique et de la fonte des glaces, les opportunités d’exploitations minières sont en augmentation.

63 % des Groenlandais opposés au projet minier

Et la population y est favorable. Ainsi, un sondage publié lundi, montre que 52 % des Groenlandais sont pour l’exploitation minière et 29 % contre. Mais dans le cas du projet minier de Kuannarsuit, 63 % d’entre eux y sont opposés.

Et à Narsaq, village d’un millier d’habitants près duquel se trouve le gisement de Kuannarsuit à la pointe sud du Groenland, IA a réalisé un score triomphal de 67,7 % des suffrages. « Ce gisement, considéré comme l’un des plus importants au monde pour les terres rares est situé en plein milieu des seules terres agricoles du territoire, au sud du pays, libre de glace toute l’année et la population n’est pas prête à laisser cette terre fertile à des activités polluantes », explique Mikaa Mered.

Ce projet est porté par un groupe australien à capitaux chinois, Greenland Minerals et, selon ses opposants, il présente des risques environnementaux trop élevés, notamment de déchets radioactifs. IA entend stopper le projet qui est à l’origine de la tenue anticipée du scrutin, à l’issue d’une crise politique en février. Mais pourrait organiser pour cela un référendum.

Sans majorité absolue, le scénario le plus probable est désormais qu’IA s’allie avec un ou deux petits partis pour former une coalition gouvernementale. Après avoir remercié les électeurs pour la victoire lors d’un débat télévisé réunissant les chefs de partis après les résultats, son dirigeant Mute Egede - il devrait devenir le plus jeune premier ministre au monde, même s’il n’est pas chef de gouvernement de plein exercice -, a annoncé qu’il allait engager immédiatement des discussions pour « étudier les différentes formes de coopération » avant la formation d’une coalition gouvernementale.