Les peuples sibériens et inuits s’adaptent déjà au changement climatique
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- Entretien : Alexandra Lavrillier et Jean-Michel Huctin, organisent à Paris l’« Arctic Week », un congrès interdisciplinaire, présidé par Ségolène Royal, ambassadrice pour les pôles, pour améliorer la connaissance et la recherche sur l’adaptation des peuples autochtones au réchauffement climatique
- Recueilli par Denis Sergent
La Croix : Quel est l’enjeu de ce colloque aujourd’hui ?
Alexandra Lavrillier : L’Arctic Week 2019 est un congrès international rassemblant une quarantaine de chercheurs en sciences environnementales ou en sciences sociales, ainsi que des représentants de peuples autochtones de l’Arctique qui possèdent un savoir important sur leur propre environnement et leur société. Car ce « savoir autochtone » doit absolument être pris en considération pour améliorer la compréhension des réalités étudiées et permettre aux projets de recherche d’être utiles aux populations concernées.
La Croix : Comment les peuples arctiques autochtones réagissent-ils au réchauffement climatique ?
Jean-Michel Huctin : Les peuples sibériens et inuits s’adaptent déjà aux conséquences du changement climatique qui sont plus visibles dans leur environnement que le nôtre, puisque l’Arctique se réchauffe deux fois plus que le reste du monde.
Ainsi en est-il des éleveurs de rennes sibériens (Evenks) qui modifient leurs techniques d’élevage et de chasse ou des chasseurs pêcheurs inuit du Groenland qui adaptent leurs modes de déplacement, de chasse, et trouvent de nouvelles ressources de pêche pour faire face au recul des glaces, à l’instabilité météo et aux modifications des ressources naturelles. En ce sens, les savoirs autochtones sont une fine science de la nature. Globalement, ces personnes gardent une forme d’optimisme. Même si, en Sibérie, certaines populations ressentent les limites de leur adaptabilité face au nombre anormalement important de prédateurs.
A. L. : S’ils ne sont pas responsables du changement climatique, ces peuples savent qu’ils doivent trouver en eux des solutions plutôt que subir, tout en affirmant qu’il faut avoir l’humilité de respecter la nature plutôt que la dominer. Dans le sud-ouest du Groenland, la jeunesse lycéenne de plusieurs villes, dont la capitale Nuuk (15 000 habitants), a participé à des marches pour le climat avec des slogans similaires aux jeunes du reste du monde. En Sibérie, Russes et autochtones commencent à faire de même.
La Croix : Les modes de vie et de pensée des autochtones sont différents de ceux des Occidentaux. Que peuvent leur apporter les chercheurs en sciences sociales ?
J.-M. H. : Ensemble, les chercheurs en sciences sociales et ceux en sciences de l’environnement peuvent concevoir des projets de recherche en partenariat avec les populations autochtones. C’est non seulement une question éthique mais aussi d’efficacité, car la recherche ne peut se priver du savoir de ces populations qui connaissent profondément le milieu où elles vivent. Et puis, elles revendiquent aujourd’hui à raison leur inclusion dans les projets de recherche pour que ceux-ci leur soient utiles.
C’est le cas de mes travaux au Groenland sur l’éducation spécialisée et le travail social, en relation étroite avec une institution socio-éducative locale qui héberge des jeunes en difficulté familiale. Ou bien de ceux de ceux d’Alexandra, en Sibérie avec des éleveurs de rennes, documentant les savoirs traditionnels et les changements environnementaux.
Cette coproduction de savoirs scientifiques et autochtones s’apparente à une démarche participative exigeante et doit davantage se développer à l’avenir. Puisse cette conférence faire prendre conscience au public et aux scientifiques de l’importance cruciale des savoirs et savoir-faire autochtones.